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PALESTINE

Un article du Vif du 18 octobre 2023

« Cette offensive est plus dure, plus meurtrière, plus catastrophique »: Gaza agonise sous le châtiment d’Israël

Gérald Papy

Rédacteur en chef adjoint10:29Mise à jour le: 10:29Du 19/10/2023 du Le Vif

Tous les Gazaouis n’ont pas évacué le nord du territoire. Pour le professeur Ziad Medoukh, malgré les conditions inhumaines, rester c’est résister.

«Comme habitant de Gaza, j’ai vécu quatre précédentes offensives israéliennes, en 2009, 2012, 2014 et 2021. Celle-ci est plus dure, plus meurtrière, plus catastrophique», témoigne Ziad Medoukh, le 16 octobre, depuis son habitation dans la ville de Gaza, où il a décidé de rester malgré l’appel de l’armée israélienne à évacuer le nord du territoire palestinien en prévision d’une offensive terrestre aux conséquences potentiellement désastreuses.

Morts, destructions, fuite

Le professeur de français à l’université al-Aqsa de Gaza détaille ce qui distingue l’opération «Glaive de fer» des autres interventions de Tsahal. «Le nombre de victimes: dix jours après le début de la guerre, on compte déjà 2 800 morts et onze mille blessés palestiniens (NDLR : auxquels il faut ajouter les 471 personnes tuées lors du bombardement de l’hôpital Ahli Arab le 17 octobre, selon le ministère palestinien de la Santé) En 2014, au terme de cinquante jours de combats, le bilan n’atteignait pas les 2 500 morts. En plus, pour beaucoup, être blessé aujourd’hui équivaut à une mort lente. Les hôpitaux sont débordés. D’autres ont été endommagés par les bombardements israéliens.» Le directeur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la Méditerranée orientale, Ahmed al-Mandhari, qui s’exprimait le 16 octobre, confirme qu’ils ont visé 111 infrastructures médicales – tuant douze cadres soignants – et soixante ambulances.

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Nous n’allons pas participer à reproduire une deuxième Nakba, une deuxième catastrophe.

Deuxième spécificité de l’opération israélienne relevée par Ziad Medoukh, le niveau des destructions. «L’armée israélienne détruit des routes entre des localités et entre des quartiers. Le nombre de maisons, immeubles, mosquées, écoles, bâtiments d’université, stations électriques pulvérisés ou endommagés est considérable. Au dixième jour de guerre, on dénombre près de sept mille raids, soit sept cents par jour… C’est une catastrophe.» Enfin, troisième différence avec les interventions passées, le déplacement de populations. «Les Gazaouis ont peur. C’est la panique. Israël a réussi à faire pression sur une partie de la population pour la pousser à partir, notamment parce que certains ont perdu leur maison, leur immeuble. Cela ne s’était jamais passé lors des précédentes offensives», insiste-t-il.

Des centaines de milliers de Gazaouis se sont déplacés dans le sud du territoire pour échapper à l’offensive terrestre israélienne. © getty images

Partir, c’est abandonner

Lui, pourtant, est resté à Gaza-ville, comme cent mille autres résidents, avance-t-il. Une question de dignité. «Bien sûr, les conditions de vie sont très difficiles. Mais rester est notre façon de résister. Un peuple occupé a le droit de résister, selon le droit international. Il y a plusieurs manières de le faire. Nous, nous avons choisi de résister par la non-violence, l’éducation, l’attachement à la terre… Rester chez nous, même dans des conditions inhumaines, même sous la menace d’une catastrophe humanitaire, même avec le risque de perdre notre vie… Car beaucoup de personnes sont mortes dans les bombardements depuis le début des frappes israéliennes. Personne n’est épargné par cette folie meurtrière. Mais nous n’allons pas participer à reproduire une deuxième Nakba, une deuxième catastrophe (NDLR: l’exil forcé de 700 000 à 750 000 Palestiniens en 1948 au moment de la création de l’Etat d’Israël). On préfère mourir debout chez nous plutôt que subir une humiliation intérieure toute notre vie parce qu’on aura contribué à abandonner le pays. Car si aujourd’hui je quitte ma maison, demain, je quitterai Gaza, et après, je quitterai la Palestine.»

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Déjà dramatique, la situation à Gaza devrait encore empirer avec l’offensive terrestre annoncée et repoussée le 14 octobre en raison des conditions météorologiques. Cette explication officielle masque peut-être la difficulté d’une action militaire censée conjuguer «éradication du Hamas» et sauvetage des otages aux mains de ses miliciens depuis l’attaque d’Israël, le 7 octobre. L’armée a établi leur nombre à 199. Le Hamas a affirmé que 22 d’entre eux avaient été tués par des bombardements israéliens.

Aux sources de la violence

L’ampleur de la réplique israélienne sera à la hauteur, et au-delà, du traumatisme subi par la société, le gouvernement et l’Etat après les plus de 1 300 morts recensés dans l’attaque des terroristes palestiniens. Quand on l’interroge sur ce bilan meurtrier inédit dans l’histoire de l’Etat hébreu, Ziad Medoukh semble temporiser. «J’essaie de témoigner de façon très objective sur les conditions de vie à Gaza. Des vidéos ont circulé. Mais jusqu’à maintenant, on ne peut pas analyser l’ampleur de ce qui s’est passé le 7 octobre. Tout de suite après, il y a eu les bombardements israéliens, les destructions. La population à Gaza est sous le choc. Elle est en train de mourir. La priorité, pour nous, est de sauver des vies, de dégoter un verre d’eau pour un enfant ou une maman qui ne trouve pas de quoi manger, et d’arrêter cette agression. Après, nous demanderons des comptes. Nous, nous sommes convaincus que la solution pour les Palestiniens, à Gaza et en Cisjordanie, passe par la tenue d’élections. Mais il faut qu’Israël les permette. Il en a empêché la tenue en 2021 parce qu’il a refusé de les organiser à Jérusalem. Il n’y en a plus eu depuis 18 ans. C’est pour cela qu’il existe une faillite du système politique palestinien.»

Et à ceux qui, en Europe notamment, prétendent que la population de Gaza est otage du Hamas, Ziad Medoukh répond qu’il n’y a pas que le Hamas dans ce territoire, il y a une société civile qui milite depuis longtemps pour un renouvellement du système politique. «Le Hamas est un parti politique. Il a créé une faction militaire. Pourquoi? Pour résister. Il faut revenir aux origines du problème. Les sources de cette violence, c’est l’occupation, la colonisation, puis le blocus, qui dure depuis seize ans.» Un blocus imposé par Israël et l’Egypte après la prise de pouvoir du Mouvement de la résistance islamique dans la bande de Gaza, consécutive à une guerre intestine avec le Fatah de Mahmoud Abbas sur fond de victoire aux élections législatives de 2006 du… Hamas

Un article du VIF le 19 octobre 2023

Continuera-t-on à laisser carte blanche aux Israéliens?

Laurent Perpigna

Journaliste, correspondant à Beyrouth06:14Mise à jour le: 06:14Du 19/10/2023 du Le Vif

Cette guerre laissera les Israéliens seuls face à une réalité dont ils ne peuvent s’extraire: les Palestiniens ne partiront pas, assure l’analyste Nour Odeh.

Analyste politique palestinienne, consultante en diplomatie publique, Nour Odeh fut également, en 2012, la première femme porte-parole du gouvernement palestinien. Elle décrypte l’enjeu de la guerre entre Israël et le Hamas.

La question palestinienne est-elle arrivée à un tournant décisif?

Incontestablement. J’espère que ce qui se passe actuellement mènera le monde à un moment de vérité, particulièrement sur l’échec collectif qui a mené aux événements du 7 octobre.

Car ces dernières années, les personnes qui ont une influence sur ce dossier n’ont cherché qu’à contenir la colère des Palestiniens, et, in fine, à les plonger dans l’oubli. Le résultat est là, sous nos yeux. Cette guerre, qui est monstrueuse et massivement destructrice, laissera à son terme les Israéliens seuls face à une réalité de laquelle ils ne peuvent pas s’extraire: les Palestiniens ne partiront pas et ne disparaîtront pas de leurs territoires.

Sur le terrain, entre les otages israéliens aux mains du Hamas et du Djihad islamique et la population de Gaza prise sous un déluge de feu, la situation est-elle inextricable?

Bien sûr. Et l’offensive terrestre israélienne prévue à Gaza pourrait avoir des conséquences dont nous peinons à mesurer l’ampleur. Pour l’heure, il est extrêmement difficile de prédire les plans israéliens.

Ce que l’on sait, c’est qu’à l’échelon politique, la droite et l’extrême droite se satisferaient de Gaza sans Palestiniens, toujours avec cette idée qu’ils peuvent facilement être absorbés par les pays arabes aux alentours. C’est une double erreur, puisque les Palestiniens de Gaza refusent et refuseront de partir, et parce qu’il n’est pas dans les plans égyptiens de les accueillir.

En réalité, je ne suis pas sûre que les Israéliens aient à ce jour un agenda bien défini. La seule chose qui me paraît évidente, comme à chaque confrontation à Gaza, c’est que Benjamin Netanyahou souhaite que le bilan des pertes palestiniennes soit cinq à dix fois supérieur à celui des pertes israéliennes.

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Demander aux Palestiniens une entière condamnation du Hamas n’est pas réaliste.

Existe-t-il un ressentiment palestinien face à ce qui apparaît comme un soutien inconditionnel de l’Occident à Israël?

Oui, tout cela est vu ici comme une sorte d’arrogance coloniale. Avec beaucoup de questions sans réponse. Le monde continuera-t-il de choyer ainsi les autorités israéliennes, de les préserver des critiques, de leur donner carte blanche? Les pays occidentaux continueront-ils d’appuyer la solution à deux Etats du bout des lèvres tout en laissant Israël saboter cette possibilité, décrédibilisant au passage les Palestiniens qui sont dans le camp de la paix et du dialogue?

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S’il n’y a aucune évolution au terme de cette phase, alors c’est une certitude: cela ne sera pas le dernier round de cette tragédie qui nous frappe tous, et tous ceux qui auront contribué à cette paralysie auront le sang de toutes les victimes sur les mains.

En Cisjordanie, quelle a été la réaction après l’attaque du Hamas?

Les premières images qui sont parvenues ici étaient celles de bases de l’armée israélienne attaquées. Il faut bien comprendre que les humiliations quotidiennes, aux check-points et ailleurs, ainsi que les attaques incessantes de l’armée israélienne, qui a un véritable permis de tuer dans nos territoires, ont défini la perception palestinienne du 7 octobre. D’autant que le monde entier s’est rendu compte que l’armée israélienne n’est pas aussi invincible qu’elle en a l’air.

Un sentiment d’exaltation qui n’a duré que quelques heures, puisqu’au regard de l’évolution de la situation, tout le monde s’est immédiatement mis en mode survie. Les routes ont été fermées, les colons ont mené de nouvelles attaques. Depuis le 7 octobre, au moins 59 personnes ont été tuées par des soldats et des colons en Cisjordanie.

Malgré les divergences politiques et idéologiques qui séparent les deux territoires palestiniens, l’inquiétude face aux événements à Gaza est-elle grande?

Bien sûr. Les Palestiniens de Cisjordanie ne sont pas déconnectés de leurs compatriotes de Gaza. C’est la même société. Les gens ont des parents, des amis, des proches. Partout en Cisjordanie, vous trouverez des veillées pour les membres de familles tués par les frappes israéliennes à Gaza.

Et puis, couper l’eau et l’électricité à deux millions de personnes tout en menant des frappes aériennes d’une telle ampleur traduit une volonté israélienne d’accroître le niveau de violence. Et chacun sait que ce qui se passe à Gaza a également des conséquences ici. Considérant que le monde reste impassible face à cela, cela provoquera, à la prochaine confrontation, une nouvelle augmentation dans la gradation de la violence. Jusqu’où?

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Mahmoud Abbas, qui avait déclaré que «les politiques et les actions du Hamas ne représentaient pas les Palestiniens» quelques jours après l’attaque, s’est finalement ravisé. Que s’est-il passé?

Déjà, il convient de rappeler que contrairement au narratif israélien qui entend le comparer à Daech, le Hamas n’est ni un groupe étranger ni un groupe composé d’étrangers qui auraient envahi la Cisjordanie et Gaza. Les condamnations des attaques menées contre les civils sont en effet venues aussi dans le cadre d’une quête de dialogue et d’avancées. Mais demander aux Palestiniens une entière condamnation du Hamas n’est pas réaliste. D’autant plus que depuis, plusieurs milliers de Palestiniens ont perdu la vie, un million de personnes ont été déplacées à Gaza….

Une condamnation du Hamas par l’Autorité palestinienne, dans le contexte actuel, aurait été ni plus ni moins qu’un suicide politique. Pourtant, évidemment, ce n’est un secret pour personne, l’OLP (NDLR: Organisation de libération de la Palestine) et le Hamas ont des approches complètement différentes.

L’Autorité palestinienne, vieillissante et en proie à une crise interne, est-elle encore en mesure de peser politiquement en faveur des droits palestiniens?

L’OLP devrait, par essence, avoir un rôle important, mais comment pourrait-il s’articuler dans le contexte actuel? Difficile à dire. Mais penser que le Hamas pourrait être vaincu et disparaître du paysage palestinien serait une terrible erreur de lecture. D’autant que malgré les tragiques événements qui ont suivi, dans les esprits, le Hamas sort déjà victorieux, puisqu’il a réussi à mettre en déroute l’armée israélienne et les services de renseignement. C’est malheureusement ce que le monde peine à comprendre.

Date de dernière mise à jour : 22/10/2023

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