2 témoignages à propos des réformes du chômage
sur rtbf info ce 3 juin 2025
Limitation des allocations de chômage : "Cela n’a aucun sens cette idée que le chômage, ce sont des gens assistés"
Il y a 3 heures•4 min
La limitation des allocations de chômage à deux ans, c’est l’une des mesures phares de l’Arizona. En 2026, 180.000 personnes perdront leur droit aux allocations de chômage, entre janvier et juillet : la réforme est étalée sur plusieurs mois pour permettre notamment aux CPAS d’absorber les demandes. Dans Matin Première, rencontre avec deux personnes, au profil et au parcours radicalement différents, qui risquent de perdre leurs allocations.
Ce mardi, une trentaine d’associations et de syndicats organisaient une marche symbolique – la deuxième – qui reliait les CPAS d’Ixelles et d’Etterbeek. L’objectif : dénoncer cette réforme, demander son retrait.
Mais qui sont ces personnes qui risquent de perdre leurs allocations de chômage ? Nous avons rencontré deux profils très différents, mais avec un fil rouge : leur sentiment de colère. Alice a 31 ans, un diplôme universitaire et plusieurs années de travail derrière elle dans le secteur associatif. "Mon contrat n’a pas été renouvelé, je suis au chômage depuis janvier 2025" explique-t-elle. "Au début, je le vivais assez bien. J’ai eu quelques soucis pour toucher les allocations de chômage, mais je ne suis pas dans une situation trop précaire. Par la suite, quand j’ai commencé à chercher et que j’ai vu qu’il n’y avait pas grand-chose, j’ai commencé à stresser d’un point de vue budgétaire. Mon chômage va devenir dégressif au mois de juillet. Je ne sais pas de combien, je n’ai pas osé faire le calcul".
Les associations n’engagent plus
Alice le constate : ses recherches jusqu’ici ne donnent rien. Le secteur associatif est en difficulté, en particulier en région bruxelloise. "Les offres d’emploi ne sont pas nombreuses. Il y a des coupes budgétaires au niveau du fédéral mais, autre raison, il n’y a pas de gouvernement en Région Bruxelles-Capitale, et c’est quand même un gros pourvoyeur de subsides. Ce qui fait que, voilà, il n’y a pas beaucoup d’offres et celles auxquelles j’ai répondu, je n’ai pas de réponse. Ce que je peux comprendre parce que je me dis que pour les associations, ça va être compliqué de se positionner sans savoir ce qui les attend. En fait, ils n’ont pas les moyens de pouvoir engager, ils sont même obligés de faire partir des personnes qui étaient déjà là de base" analyse-t-elle.
Alors que faire pour la suite s’il n’y a rien dans son secteur ? Peut-être changer d’orientation… c’est une option mais qui a ses défauts : "Je pourrais effectivement considérer une reconversion professionnelle, ça signifie de reprendre des formations, reprendre des études, changer de diplôme. Mais c’est du temps que je ne vais pas passer au travail et du coup c’est moins d’années de travail accumulées, donc ça aussi, ça va retomber sur le calcul de la pension !"
"J’ai du mal à me projeter dans ma vie"
Alice a encore un an et demi devant elle avant de se retrouver exclue des allocations de chômage. Mais cette échéance, au vu d’une situation sur laquelle elle a peu de prise, la met en colère : "J’ai du mal à me projeter dans le futur. À 31 ans, se retrouver à ne pas avoir de prise réelle sur des choix que je voudrais poser, c’est dur. Et sinon je ressens beaucoup de colère de manière générale sur la situation, parce qu’en fait ça n’a aucun sens et c’est de nouveau alimenter cette idée que le chômage, ce sont des gens assistés ou des gens qui n’ont pas envie de travailler".
Alice explique fonctionner en ce moment mois par mois, sans trop savoir de quoi l’avenir serait fait.
Les ALE – aides locales à l’emploi, ce n’est pas du travail
Deuxième personne rencontrée, Anne, qui a un profil peu conventionnel, mais représentatif du fait que, dans les parcours professionnels, on a une grande diversité… qui ne rentre pas toujours dans les cadres imaginés par les réformes.
Anne a 62 ans. Elle a, entre autres choses, fondé une asbl pour mettre sur pied une halte-garderie. Et au bout d’un moment, faute de subsides, faute de moyens pour payer des charges patronales ou se verser à elle et son équipe un salaire, elle a beaucoup fonctionné avec des chèques ALE, aide locale à l’emploi. C’est un dispositif dans lequel une personne reste au chômage, mais peut déclarer x heures de travail dans certaines conditions et pour lesquelles elle touchera un supplément de quelques euros.
"On s’est dit qu’est-ce qu’on fait ? Comment on fait pour continuer ? Parce qu’une fois qu’on crée quelque chose, eh bien il y a des familles, il y a des enfants. On ne peut pas les laisser comme ça tomber du jour au lendemain. Donc la seule solution qu’il y avait à ce moment-là, c’était de prendre des ALE. On a fait ça pendant dix, quinze ans" révèle-t-elle. "Il n’y avait pas que moi qui travaillais comme ALE, c’est toute une équipe. On a jonglé avec ce qui était légal pour pouvoir toujours accueillir les enfants. On a cherché des manières de travailler. Nous, on demandait que ça !"
Réforme du chômage : "On ne change pas les règles du jeu !"
Anne sera exclue du chômage en janvier 2026 : "Je ferai face. Mais je suis très en colère, très en colère. Qu’on prenne la vie des gens comme ça et qu’on leur donne six mois pour se retourner. Comme si on n’avait pas cherché du travail pendant toutes ces années ! Comme si on n’avait rien fait ! C’est ça qui n’est pas juste. Alors qu’est-ce que je vais faire ? Sortir des radars ? Il y a la solidarité familiale pour ceux qui peuvent… Ou recréer un travail, je ne sais pas. C’est l’inconnu".
Et pour elle, à 62 ans, l’autre horizon qui se profile, c’est la pension : "Ce que le gouvernement veut faire maintenant, c’est qu’en fait, toutes ces périodes où j’ai travaillé comme ALE n’existent plus. Donc c’est comme si je n’avais rien fait. Mais c’est scandaleux, quoi ! Parce qu’on ne change pas les règles du jeu en plein milieu comme ça, on ne joue pas avec la vie des gens. Ce qui me met vraiment en colère, c’est la manière dont on nous perçoit et de dire que d’office, tous les chômeurs ne font rien. J’ai entendu même qu’on disait que c’était le Club Med. Moi je veux bien que les ministres viennent faire un stage et prennent notre vie pour voir ce que ça fait".
Pour les plus de 55 ans, il existe une exception : on peut continuer à toucher le chômage si on a déjà 30 années de travail cumulé. Mais Anne ne rentre pas dans les conditions. Du côté du cabinet du ministre David Clarinval, on nous confirme que ces chèques ALE, même s’ils remettent les gens au travail, sont assimilés à du chômage. Anne perdra donc bien ses allocations l’année prochaine, et sa pension sera aussi impactée.
Date de dernière mise à jour : 03/06/2025
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