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La Libre 9 juillet 2022

METEO en Belgique Faire gaffe !

Pascal Mormal, météorologue : "Ce qui va se passer en Belgique dans les prochains jours est inquiétant"

Pour le météorologue, le scénario "le plus extrême" tend à gagner en crédibilité. "Nous serons confrontés à des températures très élevées"

 

 

Pour le météorologue Pascal Mormal, la Belgique va connaître une vague de chaleur assez préoccupante. Le pays pourrait connaître des températures extrêmes.

Pour le météorologue Pascal Mormal, la Belgique va connaître une vague de chaleur assez préoccupante. Le pays pourrait connaître des températures extrêmes. ©D.R.

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S'il n'a pas envie de jouer les "prophètes catastrophistes", Pascal Mormal ne veut pas non plus fermer les yeux face aux chiffres qu'il analyse quotidiennement. "Ils sont vraiment inquiétants", nous confie-t-il. Le météorologue de l'Institut royal météorologique (IRM), actif depuis 1999, a connu une véritable prise de conscience à l'été 2019. La vague de chaleur qui frappe alors notre pays l'a particulièrement marqué. "On ne voyait plus vraiment où était la limite au niveau des températures", se souvient-il. Si les valeurs enregistrées sur son thermomètre l'ont surpris à l'époque, le météorologue est conscient qu'elles seront de plus en plus fréquentes à l'avenir... En tant qu'Invité du samedi de LaLibre.be, Pascal Mormal fait le point sur les prévisions des prochaines semaines et revient sur les conséquences de plus en plus présentes du réchauffement climatique.

Est-il désormais certain que notre pays va connaître une vague de chaleur dans les prochains jours ?

Pour pouvoir parler de vague de chaleur en Belgique, il faut enregistrer durant au moins cinq jours consécutifs une température de 25 degrés ou plus. Il faut également dans cette séquence que la température atteigne ou dépasse les 30 degrés durant trois jours. Si l'on analyse les caractéristiques des températures attendues ces huit prochains jours, il y a de fortes chances que ces critères soient remplis. Ce qui va se passer est quand même assez inquiétant. Les modèles de prévision et les différents scénarios sont fréquemment mis à jour. Au début, on voyait que le scénario "le plus extrême" était relativement isolé. Or, à présent, il tend à gagner en crédibilité. Nous serons donc normalement confrontés à des températures très élevées. La question est de savoir si l'on se dirige vers le scénario plus optimiste, avec des températures maximales comprises entre 32 et 34 degrés, ou le plus pessimiste, avec des températures qui dépasseraient les 35 degrés et qui pourraient flirter avec les 40.

Peut-on dire que ces vagues de chaleur sont de plus en plus fréquentes ?

Il n'y a pas de doute à ce sujet. Ce qu'on a connu au mois de juin doit plutôt être défini comme un pic de chaleur et non une vague de chaleur. Mais, quand on analyse les statistiques, il n'y a absolument aucun doute quant au fait qu'il y a une hausse très sensible des vagues de chaleur depuis une trentaine d'années. Ce phénomène s'est encore fortement amplifié depuis 2015. Depuis cette année-là, on a connu au moins une vague de chaleur chaque été, à l'exception de l'année 2021 qui était particulière.

À Uccle, sur les 100 premières années d'observation qui démarrent en 1892, on avait une vague de chaleur tous les quatre ans. Depuis 1990, on en a deux tous les trois ans. Il n'y a donc aucun doute quant au fait que ce phénomène est en hausse. C'est corroboré par d'autres indicatifs qui vont dans la même direction. Par exemple, le nombre de jours d'été - c'est-à-dire un jour où la température atteint ou dépasse 25 degrés - était de 20,4 en moyenne par année de 1961 à 1990. Sur la période de référence actuelle (de 1991 à 2020), on est passé à 29,9 jours d'été. C'est une hausse de presque 50%. C'est considérable !

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Cette évolution est-elle inquiétante ?

Oui, absolument. On peut le voir d'un point de vue assez égoïste en se disant que l'on a un bel été et que c'est agréable. Mais il faut bien se rendre compte que de tels excès de température ne sont absolument pas normaux. Nous sommes dans un climat tempéré océanique, donc un climat qui va faire la part belle à des alternances entre un temps parfois un peu mitigé avec un peu de pluie et des journées ensoleillées. On constate depuis quelques années des situations de blocage, qui vont amener un beau temps durable mais également des températures excessives pour notre pays. Il faut bien comprendre qu'avoir des répétitions de séquences aussi chaudes est vraiment problématique. Il faut voir si ce scénario se poursuit dans les prochaines décennies... Ce serait très inquiétant. On a déjà gagné 2,1 degrés depuis la moitié du 19ème siècle. Ce n'est pas énorme, en soi, mais cela a déjà mené à des vagues de chaleur beaucoup plus conséquentes. Si on devait poursuivre sur cette lancée, on peut imaginer que les conséquences seraient encore bien plus inquiétantes.

Qui plus est, il faut noter que par rapport à cette hausse des températures, un 1,2 degré a été gagné en seulement trente ans, de 1991 à 2020. C'est quand même considérable sur une période si courte. On a tendance à se dire qu'un degré, ce n'est pas tellement. Mais il faut bien comprendre qu'un degré en plus peut générer des températures extrêmes beaucoup plus marquées. J'en veux pour preuve le record de température pour Uccle. Le précédent record datait de juin 1947, où l'on avait enregistré une température de 36,8 degrés. En juillet 2019, on est passé à 39,7, soit pratiquement 3 degrés supplémentaires.

Faut-il s'attendre à ce que ces vagues de chaleur, en plus d'être de plus en plus fréquentes, deviennent de plus en plus intenses ?

Oui, absolument. C'est ce qu'on constate dans les scénarios qui sont proposés. Les modèles qui envisageaient des 40 degrés en Belgique étaient considérés comme impossibles il y a quelques années. A présent, on sait que des températures aussi élevées sont tout à fait possibles. C'est interpellant ! Il est tout à fait envisageable qu'on se rapproche davantage des scénarios pessimistes. Ça dépend de beaucoup de paramètres, comme notre capacité à limiter les émissions de gaz à effet de serre dans les décennies à venir.

Les hivers seront-il quant à eux de moins en moins froids ? La neige va-t-elle se faire de plus en plus rare ?

Absolument. On le voit de manière très claire depuis la fin des années 1980. On avait jusque-là pratiquement autant de vagues de froid que de vagues de chaleur. On en constatait une en moyenne tous les quatre ans. Mais, depuis 1992, on n'a plus comptabilisé que deux vagues de froid, donc dix fois moins que les vagues de chaleur. Ce qui montre que la probabilité d'avoir un épisode très froid en Belgique s'amenuise au fil des années. C'est impressionnant. Certains vont dire que c'est bien pour la facture de chauffage. C'est vrai mais il faut comprendre que ce n'est pas du tout une bonne chose pour l'équilibre de la nature. En Belgique, le froid en hiver fait partie de notre climat. Il est utile aussi pour lutter contre certains parasites.

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Quelles sont les conséquences concrètes de ces températures extrêmes pour la population belge ?

Ces températures sont déjà problématiques pour les personnes sensibles et fragiles, notamment les personnes âgées. Mais il faut se dire que les conséquences vont se faire de plus plus ressentir dans le futur. Cela va poser problème pour la santé publique. L'organisme n'est pas fait pour vivre avec des températures au-dessus d'un certain seuil, surtout dans des pays comme la Belgique où la construction des maisons et des infrastructures n'est pas du tout semblable à celle de pays chauds comme l'Espagne et le Portugal. Il va falloir énormément s'adapter dans le futur pour pouvoir supporter de telles températures. Le problème va surtout se poser dans les grandes villes, où le béton et le goudron emmagasinent la chaleur la journée et la restituent durant la nuit.

Puis il y a d'autres problèmes plus généraux, comme les sécheresses à répétition. Cela risque de poser des problèmes, notamment pour le monde agricole comme on a déjà pu le constater il y a quelques semaines. Des aspects plus marginaux pour la Belgique pourraient également devenir plus inquiétants dans le futur, comme les incendies de forêt. Ce qui pouvait passer pour quelque chose d'absolument rarissime par le passé pourrait devenir plus récurrent dans les décennies futures si la hausse des températures s'accélère.

Comprenez-vous que certains puissent encore mettre en doute le fait que ces vagues de chaleur soient liées au réchauffement climatique ?

Il faut toujours être ouvert aux arguments même les plus antagonistes. Mais il est impossible de nier le réchauffement climatique. Les chiffres le montrent. Ce qu'on peut éventuellement contester dans une certaine mesure, c'est la cause humaine du réchauffement climatique, c'est-à-dire se demander si c'est réellement l'homme qui est l'élément fondamental du réchauffement climatique. Là il est possible de quelque peu nuancer. Mais l'essentiel des études scientifiques montre quand même que l'être humain a une énorme implication dans cette hausse des températures et surtout dans son aspect aussi brutal. Des gens vont dire qu'on a également connu des hausses des températures dans des périodes plus anciennes. Certes, mais elles n'avaient pas une telle intensité dans un temps aussi court. D'autres vont dire que c'était une époque où la Terre était beaucoup moins peuplée. Ce sont des arguments difficiles à entendre aujourd'hui. Il ne faut pas non plus que ça devienne un dogme. J'aurais aussi envie d'être un peu plus sceptique, j'aimerais ne pas jouer les prophètes catastrophistes mais, malheureusement, les chiffres que j'analyse sont tellement inquiétants qu'on ne peut pas se voiler la face. On voit bien que cette hausse est vraiment très inquiétante et en phase avec l'augmentation des gaz à effet de serre.

Effondrement d'un glacier en Italie, inondations en Australie, pics de chaleur record… S'attendait-on à ce que ces phénomènes prennent une telle ampleur si rapidement ?

Il faut être prudent et garder à l'esprit qu'on a une couverture médiatique beaucoup plus importante qu'il y a 50 ans. Des événements ont peut-être été moins médiatisés à l'époque mais étaient peut-être tout aussi dramatiques. Mais, effectivement, il y a des signaux quand même très préoccupants. Surtout quand on voit la vitesse à laquelle évolue la situation... On constate que les phénomènes extrêmes sont réellement exacerbés par le dérèglement climatique.

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Il y a à peu près un an, la Belgique était endeuillée par de violentes inondations. Ce phénomène pourrait-il se reproduire cet été ou dans un avenir proche ?

C'est une crainte qu'on peut avoir. Quand on a regardé l'analyse des chiffres de 2021, on a constaté qu'on a eu des totaux quasiment inédits pour la Belgique au niveau des cumuls de précipitations. En les mettant dans une série statistique, on a estimé que cela pourrait se reproduire tous les 200 à 400 ans. Mais ce sont des estimations purement statistiques. Avec ce que l'on constate du réchauffement climatique, il y a tout lieu de penser que cet événement pourrait se reproduire bien plus tôt. Plus de chaleur ne veut pas forcément dire plus de sécheresse. Cela peut également être synonyme de plus de pluie. Une atmosphère plus chaude peut contenir davantage de vapeur d'eau. Lorsque cette vapeur d'eau arrive à saturation, elle peut donner des pluies précipitables plus intenses. On le constate d'ailleurs à l'IRM: il ne pleut pas nécessairement plus, mais les pluies abondantes sont plus importantes.

Un an après les inondations, où en sont les dossiers?

A-t-on appris de nos erreurs ? Serions-nous prêts à faire face à un nouvel épisode d'inondations ?

Il faut rester humble vis-à-vis de la nature. Beaucoup d'enseignements ont été tirés, notamment au niveau des processus d'alerte et de la coordination entre les différents services. Mais, à l'avenir, il faudra, d'une part, éviter de construire dans des zones inondables et, d'autre part, créer des zones tampons comme des grandes prairies que l'eau pourra inonder. Il n'en reste pas moins que les villes situées dans le bas des vallées demeurent des zones sensibles. On peut améliorer les processus d'évacuation, toutefois il ne faut pas aller trop vite en besogne. On se demande pourquoi on n'a pas lancé l'alerte rouge plus tôt en 2021. Mais on peut pas lancer le niveau d'alerte maximal quatre ou cinq jours à l'avance. S'il ne s'était rien passé, on aurait pris le risque de mettre des milliers de personnes sur les routes avec potentiellement des accidents, sans raison. Il faut peser le pour et le contre.

Constatez-vous une prise de conscience au sein de la population belge au vu de la fréquence plus importante de phénomènes climatiques inquiétants et de leur proximité ?

Tout à fait. Deux événements ont été fondamentaux ces dernières années: les inondations de 2021 et la vague de chaleur exceptionnelle de juillet 2019. Dans la moitié des stations du pays, on avait dépassé le seuil des 40 degrés. Le service météo de l'armée recevait des messages d'erreur car il n'avait pas intégré la possibilité de dépasser le seuil des 40 degrés. Pour moi, ça a vraiment été quelque chose de marquant, ça a été une prise de conscience. On ne voyait plus vraiment où était la limite au niveau des températures.

Avec cette prise de conscience, vient la volonté de faire bouger les choses. Mais les gestes posés par les citoyens peuvent-ils faire la différence quand on connait l'impact environnemental des grandes entreprises ?

Il y a des choses qui sont extrêmement choquantes, c'est certain. On culpabilise Monsieur et Madame Tout-Le-Monde en Belgique, mais à côté de ça on va organiser des matchs de football au Qatar pour la Coupe du Monde au mois de décembre. Il y a une énorme hypocrisie à tous les niveaux. C'est compliqué de donner des avis à la fois responsabilisants, sans être culpabilisants. Je ne sais pas comment on pourra, au niveau politique, éviter que la situation empire. Mais des initiatives concrètes peuvent être mises en oeuvre. On peut par exemple organiser des cultures un peu différentes, songer à repenser l'agriculture, adapter nos forêts, installer davantage d'espaces verts dans les grandes villes... Plein de choses peuvent être faites à petite échelle mais l'impact que cela aura au niveau mondial reste limité. Il ne faut toutefois pas perdre espoir.

Date de dernière mise à jour : 10/07/2022

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