Cinq chaos auraient en effet pu être évités dans la gestion de la crise. Les digues que représentaient les tests et le traçage ont été trop facilement submergées. Les confusions politiques, les divergences d'experts et le comportement irresponsable de certains ont fait le reste. Voilà pourquoi Bruxelles et la Wallonie sont les très mauvais élèves de l'Europe. Et voilà pourquoi les experts évoquent la nécessité d'un reconfinement avant le Comité de concertation programmé vendredi à 14h.Lire aussi: Cinq chaos évitables

Dans la gestion des derniers jours, on cherche en vain des perspectives de modifier ce constat. Sans vouloir être trop durs, il convient de constater que la réaction belge est souvent "trop" dans le mauvais sens du terme.

Trop tard

Le gouvernement De Croo a pris le taureau par les cornes après certains flottements dus à l'absence de pouvoir. Le Conseil national de sécurité ne vit plus, il a cédé la place au Comité de concertation, qui se réunit désormais chaque semaine, impliquant le fédéral, les Régions et Communautés. Avec, de la part du ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, une volonté de fermeté face à l'épidémie.

Mais l'épidémie galope de façon exponentielle et l'évaluation du couvre-feu et de la fermeture de l'Horeca, fortement controversée, risque d'être bien tardive pour éviter une saturation des hôpitaux. C'est tout l'objet de la réunion de demain. Mais à côté de cela, comment comprendre la décision d'un code orange (fortement édulcoré) dans les écoles... à partir du 12 novembre? Pourquoi les provinces wallonnes les plus touchées, Liège en tête et le Hainaut, n'anticipent-elles pas en prenant des mesures de confinement plus importantes? Certains élus locaux se posent la question et les rapports de pouvoirs propres aux provinces n'y sont pas étrangers.
Les responsables fédéraux espèrent pouvoir éviter encore un reconfinement quasi intégral vendredi - c'est ce qu'affirmait ce matin la ministre de l'Intérieur, Annelies Verlinden (CD&V) - mais à force d'attendre, ne devra-t-on pas frapper plus fort et trop tard?
Trop doux

L'enjeu essentiel et ultra-délicat de la deuxième vague est de veiller plus que lors de la première vague à l'équilibre entre les différents pans de la société. Il s'agit donc de protéger les écoles pour veiller au bien-être et à l'apprentissage des enfants, de ménager les commerces et l'économie au sens large pour éviter des faillites en cascade ou encore de ménager la culture déjà tellement meurtrie. Et tout cela est fortement compréhensible: c'est un casse-tête.

Cela étant... Pourquoi un couvre-feu de minuit à cinq heures, alors que d'autres pays dont la France (où la situation est moins grave) prennent une fourchette plus large? Pourquoi un code orange édulcoré dans les écoles, avec le présentiel en priorité, alors que des codes couleurs avaient précisément été mis au point pour faciliter la décision (et la compréhension)? Pourquoi, aussi, imiter la Flandre en Fédération Wallonie-Bruxelles, alors que la situation sanitaire n'est pas la même? Pourquoi des pouvoirs locaux visiblement prudentissimes à décider alors qu'ils sont en première ligne : Liège et le Hainaut n'avaient même pas décidé d'un couvre-feu alors que le Brabant wallon... et la province du Luxembourg avaient opté pour ce choix, en début de semaine passée.
Parce qu'il s'agit de ménager des acteurs ou des susceptibilités, on préfère visiblement attendre.
Trop confus

La complexité institutionnelle de notre pays est une rengaine éternelle : une petite dizaine de niveaux de pouvoir, de ministres de la Santé, de provinces... cela pourrait constituer une force pour répondre de façon la plus adéquate possible, mais cela est rarement le cas dans les faits. La volonté fédérale de privilégier la concertation et des mesures identiques pour tout le territoire est louable. En dépit de cela, cela partt dans tous les sens, pas toujours judicieusement.

Sans raison toujours compréhensible, des mesures sont prises à certains niveaux : Anvers et son couvre-feu, Bruxelles et ses restrictions, le Brabant wallon et la province du Luxembourg avec leur couvre-feu différent... Qui plus est, les décisions sont souvent complexes, changent en permanence : il suffit de songer à ces fameuses "bulles sociales" à géométrie variable.
Le fameux baromètre de la gestion de la crise, qui devrait être présenté vendredi, est précisément annoncé pour remettre de l'ordre dans tout cela. C'est un mécanismes complexe, un outil à bien préparer, mais cela fait plus d'un mois qu'on l'attend et la deuxième vague est bien entamée...
Trop contesté

L'adhésion de la population est un enjeu déterminant et le monde politique semble courir après. Il n'est guère aidé, c'est vrai: les médias cultivent l'esprit critique (la preuve ici, c'est vrai), les experts divergent souvent dans leur analyse... quand ce n'est pas le cas des politiques eux-mêmes. La cacophonie immédiate qui a suivi la décision de fermer les cafés et les restaurants fut un modèle du genre. Des observateurs attentifs du monde politique nous disaient cette semaine combien il était "hallucinant" de voir ce consensus déchiré dès le lendemain de la décision dans les médias. On se déclare "loyal", mais on précise bien que l'on n'était pas d'accord. "Comment, dans ce cas, obtenir l'adhésion?", se demandait notre interlocuteur. Le résultat, ce sont des recours en pagailles.

La gestion de cette crise sanitaire, qui plus est sans pouvoirs spéciaux, est un exercice d'équilibriste au niveau légal et juridique, le juste milieu entre toutes les dimensions de la société est extrêmement difficile à trouver et la tâche de gérer le pays dans ce contexte est un piège. Mais il est quand même grand temps de se demander pourquoi, en Belgique, on risque à nouveau d'être parmi les champions du monde de cette épidémie.