Apnées climatiques
Journal International de Médecine - 11 juillet 2025
Plus il fait chaud, plus on risque l’apnée
Dr Bertrand Herer | 11 Juillet 2025
Plus il fait chaud, plus les apnées s'aggravent. Une vaste étude sur près de 116 000 personnes montre l'impact du réchauffement climatique sur le sommeil, avec des répercussions prévisibles pour la santé publique.
L'augmentation de la température ambiante perturbe le sommeil et pourrait également aggraver le syndrome d'apnée obstructive du sommeil (SAOS). Cependant, les études disponibles sur ce sujet sont majoritairement transversales et souffrent d’une limitation méthodologique majeure : la variabilité de l'index apnées-hypopnées (IHA) d'une nuit à l'autre chez un même individu, ce qui compromet la cohérence des données.
Plus de 115 000 sujets enregistrés pendant leur sommeil
Par ailleurs, il est bien établi que les périodes de fortes chaleurs rendent l'utilisation du masque de pression positive continue (PPC) – traitement de référence du SAOS – inconfortable et difficile à supporter. B. Lechat et coll. présentent les résultats d'une vaste étude longitudinaleétudiant la relation entre la température ambiante et la sévérité des apnées nocturnes chez 116 620 sujets (1). Cette cohorte était principalement constituée d’hommes (22,7 % de femmes) d'âge moyen 49 ± 14 ans résidant dans 41 pays. Le SAOS était évalué par le dispositif Withings Sleep Analyzer/Sleep Rx, un bandeau gonflable placé sous le matelas et équipé de capteurs, couplé à un logiciel spécifique. Ce système permet d'évaluer de façon fiable, non invasive et sans participation active du sujet, l'existence et la sévérité du SAOS.
Dans cette cohorte, les prévalences du SAOS modéré à sévère (IHA ≥ 15 évènements/h) et du SAOS sévère étaient de 25,4 % et 8,9 % respectivement. Sur la période d'étude (3 ans et demi, de janvier 2020 à septembre 2023) une médiane de 509 (IIQ : 246 à 787) nuits a été enregistrée par sujet. La température ambiante lors des nuits enregistrées était fournie par The Copernicus Climate Change Service (C3S) dans la ville de résidence la plus proche du sujet. L’étude a été complétée de l'analyse des DALYs (Disability-adjusted life years) ou espérance de vie corrigée de l'incapacité (EVCI) qui permet d'estimer le nombre d'années de vie en bonne santé perdues du fait d’une maladie, ainsi que par une étude de l'impact de la température ambiante sur la productivité au travail. Les chercheurs ont également réalisé des projections du réchauffement climatique basées sur les scénarios du GIEC, les Shared Socioeconomic Pathways (SSP), du plus optimiste au plus pessimiste : SSP126 (réchauffement climatique < 2 °C), SSP245 (réchauffement < 3 °C), SSP370 (réchauffement < 4 °C) et SSP585 (réchauffement > 4 °C).
Une relation dose-réponse entre la température ambiante et les apnées
L'analyse montre une relation dose-réponse non linéaire entre la température ambiante moyenne sur 24 heures et le risque de présenter un SAOS la nuit suivante. Pour comprendre cette relation, les chercheurs ont comparé les nuits suivant des journées très chaudes (99e percentile : 27,3 °C) avec celles suivant des journées plus fraîches (25e percentile : 6,4 °C). Ainsi, le rapport de risque (RR) de SAOS modéré à sévère était de 1,45 (intervalle de confiance à 95 % [IC95] 1,44-1,47), celui d’un SAOS sévère de 1,49 [1,46-1,52]. Le risque était plus élevé chez les hommes et en cas d’indice de masse corporelle élevé, mais l'effet de l'âge était peu significatif.
Sur les 41 pays étudiés, 29 présentaient une association significative entre température et risque de SAOS nocturne. L’effet était particulièrement prononcé dans les pays européens, où la probabilité de SAOS pouvait être multipliée par 2 lors des journées très chaudes, alors que dans certains pays elle n’augmentait pas (par ex. en Autriche, Chine, Inde, Nouvelle-Zélande, Turquie ou aux Émirats arabes unis). Néanmoins, compte tenu des moyens logistiques utilisés, les pays moyennement ou peu développés étaient peu représentés.
Les conditions de réalisation de l'étude ne permettaient pas la prise en compte précise des facteurs confondants. Les auteurs admettent toutefois qu’en cas d’augmentation plausible de la prévalence de l’obésité à 30 % d'ici à 2050, la prévalence du SAOS augmenterait de 10 à 25 % selon les pays.
Les résultats restaient similaires même en prenant en compte les températures minimales ou maximales (au lieu de la moyenne), la pollution atmosphérique (particules fines PM10), les différences démographiques entre pays (âge, IMC, sexe). Il est important de noter que 9,4 % des nuits n'avaient pas de mesure d'IAH calculable (durée de sommeil < 5 heures). Étant donné que les fortes températures réduisent la durée de sommeil, les estimations présentées pourraient être sous-évaluées.
Des conséquences en termes de santé publique
Pour l’année 2023, dans les 29 pays où une association entre l’augmentation de la température ambiante et la prévalence du SAOS a été constatée (représentant plus d'un million de personnes), l'EVCI a été évaluée à une perte de 788 198 années de vie en bonne santé. De plus, une perte de productivité de 30 milliards de dollars américains a été calculée. Selon les scénarios envisagés, l'atteinte de la qualité de vie conduira en 2100 à une détérioration de 15 % de l'EVCI dans le scénario le plus favorable (réchauffement climatique sous 1,8 °C). Si le réchauffement est moins bien maîtrisé, une détérioration comparable pourrait survenir dès 2050 et être multipliée par 1,5 à 2,5 en 2100. La productivité subirait des conséquences analogues dans les scénarios défavorables de réchauffement climatique : perte de productivité de 10 à 25 % dès 2050, multipliée par 1,3 à 2,2 en 2100.
Cette étude de grande ampleur présente naturellement des limites liées au protocole adopté : la cohorte représente principalement des pays développés, les femmes y sont sous-représentées, et les comorbidités notamment cardiovasculaires ne sont pas prises en compte. D’autre part, le dispositif utilisé ne permet pas de mesurer la SpO2. Malgré ces limitations, les conclusions des auteurs sont particulièrement préoccupantes et soulignent l'impact potentiel de l'augmentation de la température ambiante sur le SAOS, avec des conséquences majeures sur la qualité de vie et l'économie. Ils insistent sur l’importance du respect des conditions de l'accord de Paris sur la limitation du réchauffement climatique sous 1,5 °C, objectif qui pourrait, malheureusement, déjà se trouver hors de portée (2)...
References
Lechat B, Manners J, Pinilla L, et al. Global warming may increase the burden of obstructive sleep apnea. Nat Commun. 2025 Jun 16;16(1):5100. doi: 10.1038/s41467-025-60218-1.
Forster, P. M., Smith, C., Walsh, et al. Indicators of Global Climate Change 2024: annual update of key indicators of the state of the climate system and human influence. Earth Syst. Sci. Data, 17, 2641–2680, juin 2025. https://doi.org/10.5194/essd-17-2641-2025, 2025.
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Date de dernière mise à jour : 11/07/2025
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