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Vieillissement surdité bien-être

Journal International de Médecine 19 juin 2025

Vieillissement, surdité et bien-être

Geneviève Perennou | 19 Juin 2025

En Chine, 22 % de la population a désormais 60 ans ou plus, ce qui engendre des enjeux sanitaires de grande ampleur. Les troubles auditifs, longtemps négligés, s'imposent aujourd’hui comme un facteur du bien-être psychique et social des seniors. Des outils validés comme le HHIA-S ont montré une forte corrélation entre perte auditive et symptômes dépressifs. 

Une étude a été menée en 2023 en Chine auprès de 1215 personnes âgées de plus de 60 ans, sans trouble cognitif initialement. met en lumière une ampleur sous-estimée du déficit auditif au sein de cette population. Le score HHIE-S (Hearing handicap inventory for the elderly screening) a été utilisé pour évaluer la probabilité de présenter une déficience auditive, un score plus élevé indiquant une atteinte plus sévère. Le questionnaire évalue les difficultés liées à l'audition dans les interactions sociales. Selon les données recueillies, 34,7 % des participants présentent une forme de perte auditive, avec une atteinte sévère pour 8 % d’entre eux. Ces chiffres corroborent les estimations préexistantes.

Les liens sociaux, un facteur déterminant

De plus, les auteurs ont mesuré le capital social personnel. Cette notion se décline en deux dimensions : d’une part, les liens cognitifs, fondés sur la confiance mutuelle, la réciprocité et le sentiment d’appartenance ; d’autre part, les liens structurels, relatifs à l’implication dans les activités, au soutien reçu et à la densité des réseaux sociaux.

L’échelle utilisée se compose de 22 éléments, côtés de 1 à 5 (jamais à très souvent), couvrant la participation sociale, le soutien social, le lien social, la confiance, la cohésion, la réciprocité.

Le score moyen global mesurant ces liens s’établit à 3,37 sur 5. Tandis que les liens structurels apparaissent relativement solides (3,83), les liens cognitifs sont plus fragiles (2,90), révélant une vulnérabilité sous-jacente dans la qualité perçue des relations sociales.

Les symptômes dépressifs ont été mesurés à l’aide de la GDS-15 (Geriatric depression scale).

De l’audition au retrait social 

L’analyse a permis d’établir trois relations fondamentales. Une dégradation de l’audition est significativement associée à une diminution des liens sociaux personnels (coefficient standardisé : -0,164 ; p < 0,001). Cette même perte auditive est associée à une probabilité accrue de développer des symptômes dépressifs (coefficient : 0,319 ; p < 0,001). À l’inverse, des liens sociaux personnels plus riches sont corrélés à une atténuation des symptômes dépressifs (coefficient : -0,317 ; p < 0,001). Ces résultats peuvent faire envisager un enchaînement où la déficience auditive amorce une spirale de retrait social, menant progressivement à un état dépressif.

Au sein de cette dynamique, les liens sociaux personnels ne se contentent pas d’être des variables corrélées : ils jouent un rôle de médiation active. L’effet médiateur global est estimé à 14 % de l’effet total (0,052 ; p < 0,001), mais une analyse fine révèle que ce rôle est essentiellement porté par les liens cognitifs (effet indirect : 0,040 ; p < 0,001). Les liens structurels, quant à eux, ne manifestent pas d’effet médiateur significatif (0,006 ; p = 0,210).

Ce résultat souligne que la dimension qualitative des relations sociales, fondée sur la confiance, la reconnaissance mutuelle et le sentiment d’être compris, exerce une influence plus déterminante sur la santé mentale que la simple quantité d’interactions sociales.

L’étude identifie également d’autres variables influençant significativement la survenue de symptômes dépressifs : le revenu mensuel (p = 0,046), les habitudes de consommation de tabac (p = 0,046) et d’alcool (p < 0,001), l’état de santé auto-évalué (p < 0,001), ainsi que le nombre de maladies chroniques (p < 0,001). À l’inverse, l’âge, le sexe ou le niveau d’éducation ne présentent pas d’impact statistiquement significatif.

Dépister précocement 

Au vu de ces constats, les auteurs appellent à reconsidérer la déficience auditive non plus comme un simple trouble sensoriel, mais comme un facteur de risque de désengagement social et de dépression. Ils suggèrent plusieurs pistes d’action : promouvoir la détection précoce et l’usage des aides auditives, soutenir la mise en place de groupes de confiance pour préserver les liens cognitifs, et enfin, encourager l’usage des outils numériques afin de maintenir les connexions sociales.

Il convient toutefois de souligner certaines limites. L’échantillonnage par commodité, susceptible d’introduire un biais de sélection, et l’évaluation subjective de la perte auditive, qui gagnerait en précision par des mesures audiométriques, constituent des points de vigilance. Par ailleurs, la dimension transversale de l’analyse quantitative limite la portée interprétative des résultats : ceux-ci traduisent des corrélations entre variables sans permettre d’en inférer des relations causales. Pour confirmer les associations observées et en évaluer la robustesse dans le temps, des études longitudinales s’avèrent nécessaire

La déficience auditive apparaît comme un catalyseur du retrait social et de la souffrance psychique. En révélant l’importance primordiale des liens cognitifs dans la prévention de la dépression, cette étude propose une lecture renouvelée de la vulnérabilité psychosociale des aînés. Dès lors, préserver, restaurer et cultiver la confiance relationnelle doit devenir un axe stratégique central des politiques de santé publique.

References

Zhou Y, Chen H, Sun Y, et al. Relationship between hearing status, personal social capital, and depressive symptoms among older adults. Geriatr Nurs. 2025 May 21:103336. doi: 10.1016/j.gerinurse.2025.04.009.

Date de dernière mise à jour : 19/06/2025

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