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Un marathon par jour

Du Journal International de Médecine du 4 juillet 2025

Comment sait-on que le cœur peut s’habituer à ce que la vie soit un marathon ?

Jennifer Ann Thomas | 04 Juillet 2025

Le jour de son anniversaire, le 10 mai 2022, le Dr Francis Ribeiro, physiologiste, a reçu un message inhabituel. Hugo Farias, alors inconnu, âgé de 43 ans, avait pour objectif de courir un marathon par jour pendant un an et souhaitait être suivi par l'équipe de l'Institut du cœur (InCor) au Brésil afin d'évaluer les conséquences de ce défi sur son système cardiovasculaire.

Le Dr Ribeiro, membre de l'InCor, s'est intéressé à l'idée. Deux ans après ce premier contact, Hugo a terminé son 366e marathon, battant un record mondial et permettant la réalisation d’une étude dont l’apport scientifique est loin d’être négligeable. 

« Le message que je voulais faire passer est que les gens ordinaires sont capables de faire des choses extraordinaires », explique Hugo Farias. Outre un enregistrement par le Guinness World Records, cet exploit a été analysé dans un article scientifique publié dans la revue Arquivos Brasileiros de Cardiologia, avec des résultats inédits pour la médecine sportive montrant que le cœur d'Hugo s'était adapté à la routine d'un marathon par jour.

Des hémogrammes, des échocardiogrammes et des tests d'effort ont démontré qu'il avait conservé une fonction cardiaque normale, sans signe d'inflammation, de lésion ou de remodelage indésirable.

« Ce résultat est surprenant, car il contredit ce que l'on attendait d'après la littérature scientifique », affirme le Dr Maria-Janieire Alves, cardiologue à l'InCor. L'étude a impliqué un suivi clinique rigoureux, avec des tests mensuels et la possibilité d'interrompre le projet si un paramètre indiquait un risque pour la santé du volontaire.

Selon le Dr Ribeiro, cette approche a été essentielle à la réussite de l'entreprise. « La proposition a été soumise au comité d'éthique, approuvée en tant que projet de recherche, et j'avais toute latitude pour suspendre l'expérience à tout moment. Ce suivi m'a rassuré, ainsi que Hugo », détaille-t-il.

Pendant les 12 mois que dura le projet, Hugo a répété le même parcours dans les rues d'Americana, située à l’intérieur de l'État de São Paulo. La distance était toujours la même : 42,195 km, soit l'équivalent exact d'un marathon. Il n'y avait ni ligne de départ, ni panneaux indiquant les kilomètres, ni supporters. Les courses ne faisaient pas partie d'événements officiels et ne bénéficiaient d'aucune structure organisée. Lorsqu'il voyageait, Hugo adaptait son parcours à la ville où il se trouvait. Son objectif se basait sur la distance, et non sur la compétition.

Le choix de courir à un rythme léger à modéré a été fait avant le premier marathon. L'équipe de l'InCor a recommandé de maintenir la fréquence cardiaque entre 130 et 150 bpm, proche du premier seuil ventilatoire. La vitesse moyenne de course était d'environ 10 à 11 km/h, et l'accent était mis sur la régularité.

« L'objectif n'était pas de battre un record de temps, mais de préserver le corps afin qu'il puisse accomplir la tâche chaque jour », insiste encore le Dr Ribeiro. Les données collectées ont montré qu'Hugo avait atteint l'état d'économie de course, un équilibre physiologique qui permet de maintenir l'effort avec moins de fatigue physique.

Un suivi médical était effectué tous les mois. Toutes les quatre semaines, Hugo passait une batterie de tests : tests cardiopulmonaires d'effort, échocardiogrammes, électrocardiogrammes et analyses de laboratoire pour évaluer les biomarqueurs inflammatoires et cardiaques. Ce suivi périodique permettait à l'équipe de détecter des variations subtiles et d'anticiper les risques. Aucun des examens n'a révélé d'anomalies justifiant l'interruption du protocole.

L'idée du projet est née fin 2021, lorsque Hugo a décidé de quitter sa carrière de deux décennies dans le secteur des technologies pour se lancer dans une autre aventure. Inspiré par des personnalités telles qu'Amyr Klink et Nirmal Purja, l'athlète a structuré son programme de courses selon une logique entrepreneuriale : objectifs, calendrier, équipe multidisciplinaire et définition d'un but.

Avant le début des marathons, un bilan de santé pré-sportif a révélé une légère hypertension, qui a été contrôlée par des médicaments. « Nous avons constaté que l'hypertension n'était pas traitée. Il a été mis sous médicaments et sa tension s'est normalisée avec une faible dose. À la fin du projet, j'ai pu suspendre le traitement », relève le Dr Maria-Janieire Alves. 

Malgré une planification minutieuse, Hugo a dû faire face à quelques difficultés. Il a souffert d'une fasciite plantaire vers le 120e marathon et d'une pubalgie quelques semaines plus tard. Il a également eu des épisodes de diarrhée et a été confronté à l'épuisement physique certains jours. Il a néanmoins maintenu sa routine avec discipline. L’athlète a également perdu du poids au cours de l'année, mais a conservé sa masse musculaire grâce au soutien de l'équipe de nutrition. « Malgré toutes les difficultés, abandonner le projet n'a jamais été une option », assure-t-il.

Un effet puissant sur le mental 

Pour le Dr Ribeiro, le projet d'Hugo renforce également la valeur symbolique et émotionnelle de l'activité physique. « Le sport a un effet très puissant sur le mental. C'est bien plus que gagner une médaille ou battre un record. Pour beaucoup de gens, franchir la ligne d'arrivée signifie surmonter un deuil, une dépression, une maladie. L'exercice physique est un outil de dépassement de soi et de reconstruction. Ceux qui pratiquent régulièrement une activité physique comprennent que le corps change, et que l'esprit change aussi », remarque-t-il. 

L'équipe multidisciplinaire a joué un rôle fondamental dans la réussite de cette entreprise. Des kinésithérapeutes ont travaillé à la prévention et au traitement des blessures, et le préparateur physique a élaboré des entraînements spécifiques de renforcement musculaire. Une psychologue a suivi chaque semaine les aspects émotionnels et la résilience mentale, tandis qu’une dermatologue a surveillé l'intégrité de la peau, exposée aux variations climatiques et aux frottements quotidiens.

Bien que l'étude relève en réalité de l’analyse d’un seul cas, les résultats montrent que l'expérience peut contribuer à faire progresser la médecine sportive. Le modèle de suivi adopté, avec des examens réguliers, un contrôle de l'intensité et le soutien d'experts, peut servir de référence pour de futures recherches sur l'adaptation physiologique à des efforts de longue durée.

Le marathon numéro 366 a été terminé en août 2023. En juin 2024, le Guinness World Records a officiellement reconnu que Hugo avait battu un record mondial. La prochaine étape est déjà en cours de planification : courir de Prudhoe Bay, en Alaska, à Ushuaia, en Argentine, en traversant le continent américain en 300 jours. Baptisé « Projet Amériques », le projet est prévu pour 2026 et bénéficiera à nouveau du suivi des professionnels de l'InCor.

En attendant le début de la nouvelle expédition, les données du précédent exploit sont toujours en cours d'analyse. « Son corps a réagi de manière impressionnante, mais cela a nécessité beaucoup de planification, d'organisation et de surveillance. C'est une histoire qui montre jusqu'où l'être humain peut aller en agissant de manière responsable », conclut le Dr Ribeiro. 

Date de dernière mise à jour : 05/07/2025

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