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FIBROMYALGIE

Fibromyalgie... et si c'était le microbiote ? - JIM 9 mai 2025

Fibromyalgie : et si c’était le microbiote ?

Dr Joël Pitre | 09 Mai 2025

La fibromyalgie, syndrome douloureux chronique, reste mal comprise. Des travaux récents suggèrent un lien entre le microbiote intestinal et la maladie, ouvrant la voie à des approches thérapeutiques innovantes, telles que la transplantation fécale.

La fibromyalgie est un syndrome douloureux chronique caractérisé par des douleurs diffuses, une fatigue persistante, des troubles du sommeil, des difficultés cognitives, des troubles digestifs et une fréquente dépression. Elle concernerait 2 à 4 % de la population mondiale, principalement des femmes (1).

Malgré sa prévalence, ses causes restent mal comprises puisqu’elle survient en l’absence de tout traumatisme, maladie ou pathologie sous-jacente évidente. Les traitements actuels sont peu efficaces, ce qui contribue à en faire un défi majeur pour la médecine contemporaine.

Depuis quelques années, des recherches suggèrent que le microbiote intestinal – l’ensemble des micro-organismes vivant dans nos intestins – pourrait jouer un rôle clé dans la fibromyalgie. La composition du microbiote des patients fibromyalgiques diffère en effet de celle des personnes en bonne santé, avec notamment une vingtaine d’espèces bactériennes présentes en quantités anormales (2).

Transplanter la fibromyalgie à la souris

La prestigieuse revue Nature s’est récemment faite l’écho d’une avancée majeure de chercheurs de l’université McGill (Montréal, Canada) suite à la transplantation de microbiote intestinal de patientes atteintes de fibromyalgie à des souris femelles non porteuses de germes et élevées dans un environnement stérile (3).

La même procédure était réalisée à partir de selles de donneuses contrôles (sans fibromyalgie). Résultat, les souris ayant reçu la flore intestinale (souris-FM+) des patientes fibromyalgiques ont développé à 4 semaines une hypersensibilité à la douleur, symptôme central de la maladie chez l’humain, isolée et sans retentissement cognitif, mémoriel, anxieux ni dépressif.

En revanche, à 4 mois les chercheurs ont observé une positivité de tests spécifiques de la dépression chez ces mêmes souris. Le microbiote intestinal des patientes fibromyalgiques pourrait donc induire des symptômes similaires chez un organisme sain.

En inversant l’expérience, les chercheurs ont traité les souris par un cocktail d’antibiotiques (ampicilline, gentamicine, métronidazole, néomycine et vancomycine), pour éliminer la flore pathologique, puis ont transplanté un microbiote sain. Ces interventions ont permis de réduire la sensibilité à la douleur, suggérant qu’une restauration d’un microbiote « normal » pourrait atténuer les symptômes de la fibromyalgie.

Différentes analyses (sanguines et tissulaires) ont révélé que la transplantation du microbiote fibromyalgique induisait non seulement la douleur, mais aussi des modifications immunitaires, des changements métabolomiques et une diminution de l’innervation cutanée chez les souris, reproduisant plusieurs caractéristiques observées chez les humains souffrant de fibromyalgie. 

Transplanter un microbiote sain à des patientes fibromyalgiques

Enfin, une étude pilote réalisée chez 14 patientes (51 ± 13,7 ans), volontaires et atteintes de fibromyalgie sévère et réfractaire, a montré que la transplantation de microbiote sain était possible (prouvée par les analyses de selles) et pouvait être associé à une réduction de la douleur et de la fatigue, améliorant ainsi leur qualité de vie et ouvrant la voie à de futurs essais cliniques à plus grande échelle (4).

Ces résultats renforcent l’hypothèse d’un lien fonctionnel entre le microbiote intestinal et la fibromyalgie, et suggèrent que la modification ciblée de la flore intestinale – par des probiotiques, des mesures diététiques ou la transplantation fécale – pourrait devenir une stratégie thérapeutique prometteuse. Ces travaux restent bien sûr préliminaires, le principal facteur limitant étant que l’essai pilote n’était pas en double aveugle et n’incluait que des femmes.

Dans son article, Nature donne la parole à une des patientes dont la qualité de vie semble s’être considérablement améliorée (3). Il est donc nécessaire de poursuivre dans cette voie prometteuse par des essais contrôlés.

References

Weir PT, Harlan GA, Nkoy FL, et al. The incidence of fibromyalgia and its associated comorbidities: a population-based retrospective cohort study based on International Classification of Diseases, 9th Revision codes. J Clin Rheumatol. 2006 Jun;12(3):124-8. doi: 10.1097/01.rhu.0000221817.46231.18.

Minerbi A, Gonzalez E, Brereton NJB, et al. Altered microbiome composition in individuals with fibromyalgia. Pain. 2019 Nov;160(11):2589-2602. doi: 10.1097/j.pain.0000000000001640.

Basilio H. Baffling chronic pain eases after doses of gut microbes. Nature. 2025 Apr 24. doi: 10.1038/d41586-025-01290-x.

Cai W, Haddad M, Haddad R, et al. The gut microbiota promotes pain in fibromyalgia. Neuron. 2025 Apr 18:S0896-6273(25)00252-1. doi: 10.1016/j.neuron.2025.03.032.

Article du Journal International de la Médecine

Fibromyalgie : intérêt de la TCC sur les douleurs et le fonctionnement cérébral

La fibromyalgie (FM) est caractérisée par des symptômes douloureux généralisés omniprésents, une fatigue, des troubles du sommeil, des difficultés cognitives et une détresse psychosociale. Les mécanismes qui sous-tendent la FM comprennent une altération des circuits centraux de la douleur, un rôle prédominant des facteurs affectifs négatifs (émotions, croyances, sentiments, humeurs, attitudes) qui conditionnent le comportement, le maintien de la douleur et un manque d'efficacité des traitements de la douleur périphérique.

Près de 100 patients randomisés, une évaluation multimodale

La thérapie cognitive et comportementale (TCC) utilise des techniques structurées pour modifier les pensées erronées et les affects négatifs et pourrait avoir un effet sur les symptômes douloureux de la FM. Les traitements associant les techniques « corps-esprit », tels que la TCC, semblent efficaces sur les symptômes de la FM via une réduction des comportements de catastrophisme* liés à la douleur.

Des études de neuro-imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) montrent que le catastrophisme est associé à des modifications de connectivités dans les zones cérébrales liées à la douleur, les patients FM avec des scores de catastrophisme élevés ayant une connectivité augmentée entre le cortex somato-sensoriel primaire (S1) et l’insula.

Cet essai randomisé a été conçu pour évaluer les effets de la TCC sur la catastrophisation des douleurs et les circuits cérébraux sous-jacents. Les auteurs émettent l'hypothèse que la TCC réduirait l'interférence de la douleur de la FM sur les activités, sur le catastrophisme et modifierait la connectivité fonctionnelle entre le réseau dit en mode par défaut** dont le cortex cingulaire postérieur ventral (vPCC) est une zone clé, le réseau de saillance (dont l’insula antérieure et le cortex cingulaire antérieur) qui a un rôle dans la détection d’événements saillants (balance cognitive entre stimuli externes et processus mentaux internes), et le réseau somato-moteur (réseau latéral de la douleur).

Parmi les 114 patients inscrits, 98 ont fait l’objet d’une évaluation initiale par IRMf et ont été randomisés entre une prise en charge individuelle par TCC ou un programme d’éducation sur la FM, pendant une période de 8 semaines. Les interventions de TCC comprenaient des techniques éducatives actives visant à modifier les pensées négatives en lien avec la douleur.

Ce traitement est basé sur l'autogestion de la douleur par l’identification et la réduction des pensées négatives et des comportements inadaptés à la douleur (tel que le catastrophisme) à l'aide de techniques telles que la relaxation, l'imagerie visuelle, la réflexion et distraction. L’éducation sur la FM (EDU) consistait à fournir des informations sur la nature et les causes présumées de la fibromyalgie et de la douleur chronique.

Diminution du catastrophisme et du retentissement des symptômes

Par rapport à l’éducation, en post-traitement, la TCC a été associée une diminution plus importante du catastrophisme et de l’interférence de la douleur sur les activités.

Le critère principal, le sous-score du Questionnaire Concis de la Douleur évaluant le niveau d’interférence de la douleur avec les activités (0 = n’interfère pas, 10 = interfère complètement) diminuait de façon significative dans les 2 groupes avec une diminution significativement plus importante dans le groupe TCC (p < 0,01). Les scores de catastrophismes diminuaient de façon significative dans les 2 groupes avec une diminution significativement plus importante dans le groupe TCC (p < 0,05).

Les corrélations entre la variation des scores de catastrophisme et d’interférence de la douleur sur les activités n’étaient significative que dans le groupe TCC (TCC : r = 0,50, p <0,001 ; EDU : r = 0.19, p = 0,33).

Modification de la connectivité cérébrale

Les données de connectivité fonctionnelle cérébrale mesurées en IRMf ont été collectées auprès des 98 participants avant randomisation puis en post-traitement chez 59 participants dans le groupe TCC et 27 dans le groupe EDU.

A l’inclusion, le test de catastrophisme provoque une activation du cortex cingulaire postérieur ventral (vPPC) en IRMf avec une connectivité fonctionnelle cérébrale augmentée pendant le test entre le vPCC et les régions du réseau somatomoteur et du réseau de saillance. Après le traitement par TCC, l’IRMf montre une diminution de la connectivité du vPCC aux régions du réseau somato-moteur (cortex moteur et sensoriel primaires M1 et S1) et du réseau de saillance.

Les auteurs concluent que la diminution du catastrophisme est un élément clé de la gestion de la douleur dans la FM et que la connectivité inadaptée des réseaux du mode par défaut aux réseaux somatomoteur et saillant impliqués dans la douleur, pourrait être des biomarqueurs pertinents pour comprendre les processus cognitifs et affectifs liés au catastrophisme.

*catastrophisme (ou dramatisation) : réponse cognitive et affective qui repose sur une expression inadéquate de la douleur qui se caractérise par une focalisation exclusive du patient sur les aspects aversifs et négatifs de son expérience douloureuse et s’exprime par une attitude d'impuissance, rumination et amplification des plaintes douloureuses.

**le réseau du « mode par défaut » s’active quand on laisse libre cours à ses pensées, il est impliqué dans le bon fonctionnement de la mémoire, des émotions, et de l’introspection.

Dr Marie-Martine Lefèvre-Colau

RÉFÉRENCE

Lee J, Lazaridou A, Paschali M, et al. A Randomized, Controlled Neuroimaging Trial of Cognitive-Behavioral Therapy for Fibromyalgia Pain. Arthritis Rheumatol. 2023 Sep 20. doi: 10.1002/art.42672.

Date de dernière mise à jour : 16/05/2025

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