Tout n'est pas si mauvais sur Internet
Du Journal International de Médecine du 14 février 2024
Internet protège-t-il les personnes âgées du déclin cognitif ?
Dr Philippe Tellier | 14 Février 2024
Les résultats d’une vaste étude longitudinale, avec un suivi de plusieurs années, sont en faveur d’une diminution du risque de démence chez les personnes âgées utilisant régulièrement internet moins de 2 heures par jour. 1,2, 3, surfez !
Plusieurs études transversales et même longitudinales (avec un suivi cependant relativement bref) suggèrent que l’utilisation régulière d’internet permet de maintenir la réserve cognitive, sans emporter pour autant la conviction. L’hypothèse vaut notamment pour le sujet âgé confronté aux effets potentiellement délétères du vieillissement cérébral. Selon certaines études, la mémoire, les performances cognitives et le raisonnement verbal seraient mieux préservés chez les utilisateurs d’internet.
Il est clair que plusieurs facteurs interfèrent, qu’il s’agisse des disparités socio-économiques, du niveau socio-éducatif ou encore de la génération, l’usage d’internet variant qualitativement et quantitativement en fonction de l’âge. Le sujet âgé a en théorie un usage plus dispendieux de l’internet et, dans ces conditions, l’effet sur les fonctions cognitives aurait tout lieu d’être modeste, si l’on compare aux générations qui ont baigné très tôt dans le numérique et ont tendance à en abuser. Le vieillissement cérébral accéléré, à partir d’un certain âge, pèserait bien plus que les effets positifs éventuels d’internet. Force est de constater que les effets négatifs de ce dernier ont surtout été étudiés chez les sujets jeunes et, que de ce fait, l’on manque de données chez les anciens.
18 154 participants
Cette situation fait tout l’intérêt d’une étude de cohorte longitudinale dans laquelle ont été inclus 18 154 adultes âgés de 50 à 64,9 ans, indemnes de toute démence à l’état basal, qui participaient à la Health and Retirement Study. Le suivi médian a été de 7,9 ans, atteignant jusqu’à 17,1 ans dans certains cas. Étant donné que les adultes en meilleure santé cognitive sont susceptibles de s’auto-sélectionner pour devenir des utilisateurs réguliers, la méthode du score de propension a été utilisée pour contrôler ce facteur non aléatoire en s’aidant d’une pondération probabiliste inverse.
Le risque de démence en fonction de l’utilisation initiale d’internet a été estimé au moyen du modèle des risques proportionnels de Cox, en intégrant l’entrée éventuellement tardive dans la vie active et nombre de covariables. C’est ainsi qu’ont été prises en compte les interactions potentielles avec le niveau d’éducation, le sexe, la génération ou encore l’origine ethnique. L’exposition cumulée à internet en termes d’utilisation régulière périodique plus ou moins précoce au cours de la vie a également été incluse dans l’analyse statistique, au même titre que les heures consacrées chaque jour à cette occupation. Les analyses ont été menées de septembre 2021 à novembre 2022.
Un risque de démence divisé par près de deux
De cette approche, il ressort que l'utilisation régulière d'internet a été associée à une diminution du risque de démence par rapport à une utilisation on régulière, le hazard ratio (HR) correspondant étant en effet estimé à 0,57 (IC 95 %, 0,46-0,71). Cette association s'est maintenue après ajustement prenant en compte le facteur non aléatoire d’autosélection, le HR passant à 0,54 (IC 95 %, 0,41-0,72). La prise en compte d’un déclin cognitif basal n’a guère changé ces résultats, le HR étant alors estimé à 0,62 (IC 95 % = 0,46-0,85). La différence de risque entre les utilisateurs réguliers et non réguliers n'a pas été modifiée par la prise en compte des facteurs de confusion potentiels que sont le niveau d'éducation, l'origine ethnique, le sexe ou encore la génération. Plus la durée cumulée d’exposition au cours de la vie augmente, plus le risque de démence diminue au cours du suivi.
Si l’on tient compte des heures d’utilisation quotidiennes d’internet, la relation entre le risque de démence et ces dernières semble obéir à une courbe en U, le risque le plus faible étant observé pour les durées comprises entre 0,1 et 2 heures. Cependant, ces dernières estimations n’atteignent pas le seuil de signification statistique, en raison de la faiblesse des effectifs analysés.
Le risque de démence semble être environ deux fois moins élevé chez les utilisateurs réguliers d'internet, comparativement aux non-utilisateurs. Cette hypothèse mérite d’être prise au sérieux, du fait de l’importance de l’effectif et de la longue durée du suivi, mais aussi d’une prise en compte soigneuse du plus grand nombre possible de facteurs de confusion potentiels. Les effets négatifs potentiels restent à préciser, l’étude n’étant pas conçue pour les détecter. A la lueur d’études antérieures, internet serait à consommer avec modération pour un bénéfice optimal, la durée la plus adaptée étant d’environ deux heures quotidiennes, quel que soit l’âge, jusqu’à preuve du contraire.
References
Cho G, Betensky RA, Chang VW. Internet usage and the prospective risk of dementia: A population-based cohort study. J Am Geriatr Soc. 2023 Aug;71(8):2419-2429. doi: 10.1111/jgs.18394.
Date de dernière mise à jour : 26/07/2025
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