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Ce que la médecine a appris à Hiroshima

Ce que la médecine a appris à Hiroshima

Quentin Haroche | 06 Août 2025

Les bombardements atomiques sur le Japon ont eu des conséquences sanitaires au long cours, mais moins graves que ce qui pouvait être originellement craint.

Il y a exactement 80 ans, le 6 août 1945, l’humanité entrait dans une nouvelle ère : l’âge atomique, où l’Homme possède une puissance de destruction quasi infinie. Ce jour-là, pour mettre fin à la Seconde Guerre mondiale, l’armée américaine larguait une bombe atomique sur la ville japonaise d’Hiroshima, trois jours avant d’en lancer une autre sur la ville de Nagasaki. Si le nombre exact de victimes n’a jamais été connu, on estime que les deux seules utilisations de l’arme atomique sur des cibles civiles ont causé la mort d’entre 150 000 et 200 000 personnes.

L’immense majorité des victimes de ces atrocités sont morts dans les premiers jours, voire dans les premières heures qui ont suivi les bombardements, soit en raison du souffle de l’explosion, soit emportés par les incendies, soit tués par un syndrome d’irradiation aigue. Mais très rapidement après les bombardements, les médecins et scientifiques se sont intéressés aux conséquences sanitaires au long terme de cette attaque sans précédent et au devenir des survivants, appelés hibakushas au Japon, dont certains ont été exposés à des radiations.

Hausse de l’incidence des leucémies et des cancers chez les survivants

Dès 1946, les Etats-Unis (qui occupaient alors le Japon) ont mis en place une commission spéciale, l’Atomic Bomb Casualty Commission (« la commission sur les victimes de la bombe atomique ») afin de mener des études sur les survivants des bombardements. Ces études ont cependant été menées le plus souvent sans le consentement des victimes et les médecins américains avaient pour seul but d’étudier les conséquences des bombardements, sans venir en aide aux victimes. En 1975, cette commission américaine fut remplacée par la Fondation de recherche sur les effets des radiations, un organisme nippo-américain basé à Hiroshima et plus respectueux des règles de l’éthique médicale.

La Fondation mène ainsi depuis des décennies des études au long cours sur les survivants des bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki et leurs survivants : une cohorte de 94 000 hibakusha a ainsi été mise sur pied.

Ces études ont ainsi pu mettre en lumière, dès les années 1950, une plus forte incidence des cancers et des leucémies chez les survivants des bombardements atomiques, qui s’est maintenue plusieurs décennies après la fin de la guerre, comme le montre une étude de la Fondation de 2017. Des études plus spécifiques sur les effets des radiations in utero, menées sur environ 3 600 Japonais qui étaient dans le ventre de leurs mères au moment des bombardements, ont pu établir que ces radiations ont pu provoquer des effets neurologiques durables (retards mentaux, microcéphalies…).

Pas d’effets nocifs sur la descendance des survivants

Les effets au long cours des bombardements atomiques restent cependant relativement limités, comparativement aux dévastations et aux dizaines de milliers de morts qui ont eu lieu dans les heures qui ont suivi les attaques. Sur les cinquante années qui ont suivi la catastrophe, les chercheurs ont identifié « seulement » 94 cas de leucémies mortelles dus aux radiations et 848 cas de cancers mortels. De plus, contrairement à ce qui était craint dans les années suivant les bombardements, aucun effet sur la santé n’a été relevé dans la descendance des survivants, selon une étude publiée dans The Lancet en 2015

« On imagine généralement que ces survivants ont souffert d’une incidence très élevée de cancers et d’autres affections, que leur vie en a été fortement écourtée et que leurs enfants ont présenté une forte fréquence de malformations et plus généralement de mutations dues à l’irradiation de leurs parents. En réalité, un suivi à très long terme (plus de 60 ans) a été effectué sur une grande cohorte de survivants et a montré un effet mesurable mais relativement limité pour ceux qui avaient reçu une dose significative de radiations » résumait ainsi en 2018 le biologiste Bertrand Jordan, chercheur à l’Inserm. 

L’impact des bombardements sur l’espérance de vie des survivants est ainsi considéré comme négligeable : par exemple, Mitoyo Kawate, l’une d’entre eux a vécu jusqu’à 114 ans et aura été brièvement doyenne de l’humanité. Cet effet sanitaire au long cours moins dramatique que prévu peut s’expliquer par plusieurs éléments : décès très rapide des personnes les plus exposées aux radiations, irradiation ponctuelle et non au long cours, faibles retombées radioactives…

Comme chaque année, cette journée du 6 août a été marquée par des commémorations dans la ville d’Hiroshima, durant lesquels les participants ont appelé au désarmement nucléaire mondial. En espérant que les médecins ne disposeront plus jamais d’une cohorte aussi importante de survivants d’attaques atomiques.

Date de dernière mise à jour : 11/08/2025

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