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Le GAMS

Un bel article RTBF du 16 février 2021

Le Gams, 25 ans de lutte contre l'excision des filles

 

Action "Ton clitoris ou ta maman ?" devant le cabinet du secrétaire d'État à l’Égalité des Genres Sarah Schlitz, organisée par le Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles (GAMS) à l'occasion de la journée mondiale contre les mutilations génitales féminines.

Action "Ton clitoris ou ta maman ?" devant le cabinet du secrétaire d'État à l’Égalité des Genres Sarah Schlitz, organisée par le Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles (GAMS) à l'occasion de la journée mondiale contre les mutilations génitales féminines. 

Camille Wernaers

Le 6 février se tenait la Journée internationale contre les mutilations génitales. Les Grenades ont rencontré Fabienne Richard du Gams (Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles), une association créée en 1996 par l’activiste féministe sénégalaise Khadidiatou Diallo.

Arrivée dans les années 1980 en Belgique, l'activiste y apprend à lire et à écrire et réalise un travail de fin d’étude sur l’excision, intitulé "Mon jardin dévasté". Au cours de ses recherches, elle découvre que l’excision n’est pas une exigence religieuse mais une violence faite aux filles et aux femmes. Car les droits des enfants et les droits des femmes sont étroitement liés. C’est le début de la réflexion qui mènera à la fondation du Gams.

“Khadidiatou Diallo a vraiment ouvert la porte en Belgique sur ce sujet, dans le milieu politique et médical, explique Fabienne Richard, l’actuelle directrice du Gams. “Elle a été montrer des films sur l’excision au Parlement, et des gens se sont évanouis. Il y avait encore du relativisme culturel à cette époque, on disait que ce n’était que des scarifications”.

Les Grenades ont interrogé la directrice sur les défis qu’elle rencontre alors que l'asbl fête ses 25 ans.

??? Retrouvez en cliquant ici tous les articles des Grenades, le média de la RTBF qui dégoupille l’actualité d’un point de vue féministe

Comment avez-vous commencé à militer au sein du Gams ?

“J’ai une formation de sage-femme. Je suis partie avec Médecins Sans Frontières en Somalie et au Kenya, dans les camps de réfugié·es. Je suis partie sans aucune formation sur l’excision, pour nous l’accouchement était une expérience universelle, que toutes les femmes vivaient de la même manière. Il s’avère que ce n’est pas le cas. Il y a des spécificités, par exemple quand une femme qui est infibulée accouche, il faut ouvrir pour que la tête du bébé passe. Au tout début, il n’y avait vraiment qu’une politique de réduction des risques sur le terrain, on pouvait entendre des coordinatrices médicales dire que puisque les femmes étaient excisées, il fallait fournir des kits stériles pour que cela se passe bien, que les excisions se passent sans infection. Je ne trouvais pas cela éthique du tout.

Au sein de Médecins sans Frontières, j’ai déposé une motion du terrain pour demander des lignes directrices claires sur l’excision pour les sages-femmes qui partent. J’ai été formée en santé publique au sein de l’Institut de médecine tropicale et on n’avait pas de formation là non plus. J’ai alors été présentée à Khadidiatou Diallo par la médecin Dominique Daniel, aujourd’hui décédée, qui travaillait énormément pour les droits des migrantes. C’est comme ça que j’ai commencé à travailler au Gams, en tant que bénévole d’abord. On se retrouvait dans l'appartement de la fille de Khadidiatou Diallo, à Saint-Gilles”.

Comment fonctionne le Gams ?

“Aujourd’hui, le Gams est une asbl nationale avec une antenne à Bruxelles et deux en Wallonie (Liège et Namur) et trois permanences en Flandre (Anvers, Gand et Louvain). La moitié de l’équipe est constituée de femmes concernées qui viennent de Djibouti, de Guinée, de Sénégal, d’Érythrée et de Somalie. L’équipe est également constituée de femmes blanches, ce qui est souvent discuté au sein du Gams. Quelle légitimité avons-nous ? Ce sont les femmes concernées elles-mêmes qui souhaitent que l’on milite ensemble car c’est une question qui concerne tout le monde, pour elles. Khadidiatou Diallo dit avec beaucoup d’humour que les femmes blanches ont toujours leur clitoris et donc qu’elles savent ce qu’elle a perdu et qu’en ça, elles peuvent aider cette lutte.

Une partie de notre travail est dédiée à un soutien psycho-social individuel pour les femmes qui sont déjà excisées. Nous travaillons aussi sur la prévention pour les petites filles à risque d’excision, des filles nées ici ou arrivées en Belgique avant l’âge de l’excision. Le principal risque pour elles est de se faire exciser durant les vacances scolaires, quand elles retournent dans leurs pays d’origine et qu’une tante ou une grand-mère décide de le faire, souvent à l’encontre des parents qui n’ont rien à dire. On forme la médecine scolaire, l’ONE et les médecins généralistes à reconnaitre les enfants à risque. On a par exemple eu le cas de parents qui ne voulaient vacciner que leur fille avant leur voyage, pas le garçon qui lui ne voyagerait pas. Cela a mis la puce à l'oreille du médecin qui s'occupait de la vaccination. Ils se rendaient en Guinée où 97% des femmes sont excisées donc on était quasi sûres qu’elle n’y échapperait pas.

Avant 2019, quand une maman venait en Belgique pour protéger sa fille d’une excision, elle était automatiquement reconnue réfugiée, au même titre que sa fille. Il était reconnu qu’elle ait couru des risques pour la protéger. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Nous formons aussi les professionnel·les de la médecine à accompagner et soigner les femmes excisées et nous avons un travail de coordination, de création de réseaux pour mettre en place des bonnes pratiques entre les différents acteurs de terrain. On crée des outils facilement utilisables par le terrain sur la question des mutilations génitales féminines. Notre travail est reconnu au niveau européen, on a été sollicitées par la coopération allemande en Guinée, alors que la Belgique ne semble pas vraiment nous chercher… ni nous trouver (Rires)”.

A ce sujet justement, vous avez tiré la sonnette d’alarme à propos des financements publics, pouvez-vous expliquer pourquoi ?

“Comme nous sommes une asbl nationale, nous pouvons comparer les différentes Régions du pays, et pour nous ce qu’il se passe en Flandre est vraiment problématique. Un grand nombre d’associations qui travaillent avec les migrant·es ont perdu leurs financements, notamment parce que ce sont des associations qui aident les migrant·es dans leur propre langue et donc, selon le gouvernement flamand, cela n’aide pas leur “intégration”. Il faut qu’ils parlent le néerlandais très vite, après 3 mois. Le Gams est aussi touchée par cette politique, nous n’avons pas de quoi payer deux personnes pour travailler en Flandre, alors que selon la dernière étude de prévalence : 11.000 femmes et filles sont concernées en Flandre, contre 8000 à Bruxelles et 6000 en Wallonie. Le besoin est donc important dans cette Région. Dans la partie francophone du pays, on a un tissu associatif fort et proche des gens, c’est moins le cas en Flandre où on préfère financer des grosses structures plus centralisées mais plus éloignées du terrain, les Family Justice Center par exemple ne sont pas très accessibles à mon sens pour les femmes sans-papiers et précaires”.

Selon vous, il y a également une vision plus stricte de la Convention de Genève en Belgique désormais, ce qui pose des problèmes ?

“Oui, tout à fait. Auparavant, avant 2019, quand une maman venait en Belgique pour protéger sa fille d’une excision, elle était automatiquement reconnue réfugiée, au même titre que sa fille. Il était reconnu qu’elle ait couru des risques pour la protéger. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Selon cette vision plus stricte de la Convention de Genève, seule la personne qui court “vraiment” un risque à droit à une protection. On se retrouve dans des situations où une petite fille est protégée mais pas ses parents. Ils doivent faire une demande de régularisation, qui coûte 363 euros par personne, on a des parents qui ont dû s’endetter pour le faire. Certains parents attendent des années sans signal clair, alors que leur enfant peut rester en Belgique, eux restent dans l’illégalité, sans pouvoir travailler puisque sans-papiers, ce qui poussent certains mères dans la prostitution pour faire vivre leur famille.

Ironiquement, on se dit qu’il faudrait qu’une maman reçoive un ordre de quitter le territoire et amène sa fille chez Sammy Mahdi, la secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, et lui demande quoi faire. Qu’elle lui dise : “Je vous la laisse, moi je dois prendre un avion”. C’est pour cette raison que le 5 février, à l’initiative de Progress Lawyers Network, un cabinet d’avocat·es qui travaillent sur ces questions, nous avons été déposer des poussettes avec des poupées devant les cabinets de Sammy Mahdi et de Sarah Schlitz, secrétaire d’État à l’Égalité des genres”.

??? A lire aussi : Face à la violence conjugale, les femmes migrantes ont des droits

Pourtant, Sammy Mahdi a annoncé avoir débloqué 160.000 euros contre les mutilations génitales le 6 février, lors de la Journée internationale de lutte contre ces mutilations. Qu’en pensez-vous ?

“Très naïvement, on a écrit immédiatement pour les remercier et pour dire qu’on attendait cela depuis très longtemps car on a perdu la plupart de nos financements le 31 décembre 2019. Nous n’avons plus pu aller former le personnel des centres d’accueil pour demandeurs et demandeuses d’asile. On a tout de suite dit : où est-ce qu’on signe (Rires). En fait, c’est une annonce qui a été faite à l’occasion du 6 février mais ce n’est pas encore voté au gouvernement. Ils sont presque sûrs que cela va passer mais il faut attendre. A suivre donc. Il faut que ça aille jusqu’au bout parce que cela fait plus d’un an que l’on travaille sur le terrain avec les demandeuses d’asile, plus d’un an qu’on fait le boulot de l’État sans recevoir d’argent du fédéral pour le faire…”

Il y a beaucoup de violences genrées dans les centres d’accueil

Toute une partie de votre travail portait donc spécifiquement sur les centres d’accueil pour demandeurs et demandeuses d’asile, pourquoi ?

“Nous avions reçu un subside européen pour former deux personnes par centre sur la question des violences de genre, des violences sexuelles et conjugales, et sur les personnes LGBTQIA. On a sillonné la Belgique, créé des outils, donné des chiffres, défini ces violences. Car il y a beaucoup de violences genrées dans les centres d’accueil. Il y a des femmes qui sont placées dans les quartiers des hommes et qui n’osent pas sortir la nuit. On connait une femme qui a eu très peur car des hommes ont toqué à sa porte toute une nuit. Le directeur nous a répondu : “Qu’est-ce qui vous prouve qu’ils voulaient l’agresser, ils voulaient peut-être juste une cigarette ?” Il est important de prévoir des lieux en non-mixité au sein des centres pour qu’elles puissent s’y retrouver et se solidariser.

??? A lire aussi : La Sister's House déménage pour continuer à héberger les femmes migrantes

Des marches exploratoires ont aussi été organisées avec elles pour identifier ce qu’elles jugeaient dangereux. On a découvert que les hommes pouvaient regarder par dessus la porte des douches quand elles se lavaient, par exemple. On forme le personnel mais aussi les directeurs et directrices des centres en leur disant que la sécurité à l’intérieur du centre, l’agencement des espaces, etc, est de leur responsabilité. On ne veut pas que le parcours d’une femme soit différent en fonction du centre dans lequel elle est tombée, on veut qu’elles aient les mêmes chances dans tous les centres.

On a aussi découvert que les personnes en demande d’asile pouvaient effectuer des petits travaux pour se faire un peu d’argent. Les femmes nettoient les toilettes et les hommes font la cuisine. Il y a du sexisme là aussi car les hommes sont plus payés que les femmes et quand une femme veut cuisiner, on le lui refuse en disant qu’elle est trop faible pour porter toutes les assiettes, etc. Il n’y a pas de système de crèche non plus dans les centres, les femmes avec enfants ne peuvent pas travailler. Certains bébés sont issus de viols qui se sont produits sur le chemin vers la Belgique. Elles n’ont pas toujours choisi ces grossesses. Quand il y a un couple avec un enfant, l’homme va pouvoir suivre les cours d’alphabétisation et va parler les langues du pays plus vite que la femme. Et donc potentiellement trouver un travail plus vite une fois régularisé. Parce que la maman garde le bébé. On essaie vraiment d’expliquer que c’est aussi la responsabilité du centre que les mamans puissent se former.

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Mais il y a encore une division des rôles très stéréotypées au sein des centres. C’est d’autant plus grave qu’il est obligatoire dans notre pays, depuis la loi 2007 sur le gendermainstreaming (qui impose une prise en compte du genre dans les politiques publiques, NDLR), d'avoir une coordination genre chez Fedasil, l'agence fédérale pour l'accueil des demandeurs d'asile. Ce n’est toujours pas le cas et l’aspect genré des violences peut être oublié”.

Les mutilations génitales féminines

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit les mutilations génitales féminines (MGF) comme étant toutes les interventions aboutissant à une ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou toute autre lésion des organes génitaux féminins pratiquée à des fins non thérapeutiques.

Les mutilations génitales féminines ont été classées en quatre types.

Le type 1 ou clitoridectomie est l’ablation partielle ou totale du clitoris et/ou du capuchon du clitoris.

Le type 2 ou excision concerne l’ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans excision des grandes lèvres.

Le type 3 ou infibulation est le rétrécissement de l’orifice vaginal avec recouvrement par l’ablation et l’accolement des petites lèvres et/ou des grandes lèvres, avec ou sans excision du clitoris. L'infibulation ne laisse qu’une petite ouverture pour que l’urine et les menstruations puissent s’écouler.

Le type 4 comprend toutes les autres interventions nocives pratiquées sur les organes génitaux féminins à des fins non thérapeutiques, comme la ponction, le percement, l’incision, la scarification et la cautérisation.

Dans la loi ?

Depuis 2001, les mutilations sexuelles féminines sont interdites par la loi dans notre pays (Elles sont interdites dans de nombreux autres pays : Sénégal, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Togo, etc).

L’article 409 du Code pénal (entré en vigueur le 27 mars 2001) prévoit une peine de 3 à 5 ans de prison pour

" quiconque aura pratiqué, facilité ou favorisé toute forme de mutilation des organes génitaux d’une personne de sexe féminin, ou tenté de le faire, avec ou sans consentement de celle-ci. La tentative sera punie d’un emprisonnement de huit jours à un an.  (…)". - Art. 409 du Code pénal

Depuis le mois de juillet 2014, l’incitation à la pratique de l’excision est également punie d’une peine d’emprisonnement (de 8 jours à 1 an). Le fait que la victime soit mineure constitue une circonstance aggravante, de même que l’importance des séquelles, le but de lucre et de manière générale les situations de dépendance et de vulnérabilité (lorsque l’auteur a autorité sur la victime, qu’il  est un parent, un médecin…). En fonction de ces circonstances, les peines peuvent s’élever jusqu’à 15 ans d’emprisonnement.

La Belgique a ratifié différentes conventions internationales qui l'interdisent et obligent à la protection des filles et des femmes :

CEDAW – Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (13 janvier 1984)

CRC – Convention internationale sur les droits de l’enfant (1990)

Convention d’Istanbul : convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (ratifiée en 2016 par la Belgique)

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Date de dernière mise à jour : 22/02/2021

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